Touchée au coeur par le texte de mon amie Katia sur son blog littéraire « J’attends »
Fenêtres irisés et lointains de cristal
Je dis : ma Mère. Et c’est à vous que je pense, ô Maison !
Maison des beaux étés obscurs de mon enfance
Oscar Milosz
Ca commence par une question, obsédante, lancinante, une question qui revient inlassablement et qui jamais ne s’épuise. Qu’est-ce qu’une maison ? Qu’est-ce que la maison ? Je me demande aujourd’hui ce qui fait la magie des maisons dessinées par Marianne Evennou, magie qui ne se sent pas toute entière dans les images mais qui s’impose dans le réel. Une phrase de Gaston Bachelard m’indique un chemin. « L’enfance est certainement plus grande que la réalité. » Oui c’est peut-être cela, ce qui fait l’essence des maisons de Marianne, la disparition de toute échelle, le brouillage des repères, le basculement dans un territoire au-delà du réel, au-delà des frontières de la géométrie naturelle. Elle redonne aux appartements parisiens qui ne sont qu’horizontalité, la verticalité qui leur manque. Elle rend à un studio de 11m2 aussi bien qu’à un loft démesuré la cave et le grenier, la rêverie de l’enfant qui s’ennuie à l’attique comme la cachette du chat qui pelote(mémoire des chats vagabonds qu’elle recueillait dans sa cave en cachette des adultes ?). Ce qui frappe quand on entre dans son minuscule pied à terre parisien c’est qu’il ne dit rien de ses dimensions, il serait impossible sans être géomètre de lui assigner une surface tant il invite, au coeur de la ville, dans une maison de campagne de théâtre avec cheminée, garde-manger sur la cour intérieure, alcôve où cacher ses lectures, bureau-bibliothèque-cabinet de curiosités, salon de bain tout en douceur. La maison est « corps de rêveries », moins son souvenir est précis, défini, caractérisé et plus elle accède à l’essence de son être nous dit Bachelard. C’est bien cela… La maison de Mariannne est dans « le flou et le fou« . Elle ne s’ancre pas dans le réel, elle l’effleure. Alors quoi, comment? Par les couleurs fanées savamment choisies qui évoquent la salle à manger d’une maison de province, l’antre secret d’un amoureux de lanterne magique. C’est une rêveuse de rideaux et de plis, un pan de tissus cache ou dévoile un espace insoupçonné. Un ciel de lit protège le dormeur des fantômes de la nuit. Aucun espace ne peut se suffire de n’être que ce qu’il est mais doit s’accroitre et se plier à son désir. Une bibliothèque se fait cathédrale, un monte-charge bibliothèque, un réduit dérobant d’anciens tuyaux de cheminée la niche d’un poêle à bois, et c’est tout l’espace qui bascule dans la mémoire des ateliers d’artistes du début de siècle, ouvrant des ressources insoupçonnées à notre conscience des volumes. Pas ou peu de fenêtres ? L’oeil de la maison sera non pas à l’extérieur mais à l’intérieur. Si elle a le pouvoir de faire advenir la verticalité, elle a aussi celui de renverser les catégories usées du dedans et du dehors. Elle fait exploser les représentations de l’habitus. Elle défamiliarise. Le plan de travail de la cuisine devient escalier, le patio intérieur ouverture sur le dehors, les fenêtres des écrans qui dessinent le monde à son envie. Car cette faiseuse d’images travaille l’intérieur avec le souffle de l’extérieur, ce n’est rien moins que le ciel de Paris qu’elle fait entrer sous les toits, et le vent bruire dans les chenets. Ce n’est pas une formule, c’est le produit d’une rêverie profonde, de celle qui transmute la matière. Le ciel et le sol se renversent parfois pour refléter des pas qui se logent dans le bien-être heureux d’un espace aux frontières indéfiniment repoussés à la limite du possible et du rêvé, entre mémoire et réalité. Il y a dans les maisons de Marianne des « privilèges de profondeur » qui rendent à n’importe quel réduit sa cosmicité. A Paris les maisons n’ont pas de racines, Marianne naturalise nos chambres des villes, leur restitue une simplicité primitive, leur rend leur fonction première de nid, de coquille. Faisant sienne la formule de Rimbaud « Tout ce qui brille voit », ses maisons sont des bougies allumées dans la nuit, des étoiles qui brillent sur l’asphalte. Les éclairages à profusion de ses intérieurs donnent à celui qui les maitrise le jour ou la nuit, l’aube ou le crépuscule. La maison se fait paupière, « la lampe à la fenêtre oeil ». Sa cabane étincèle de tout son dépouillement, mais chacun des objets en apparence dérisoires qui font de sa maison une maison-monde, coquillages ramassés sur une plage, cailloux choisis entre tous sur mille chemins de forêt, brindilles et branches hautes, dessins, photo-collages et croquis découvrent un paysage qui abolit murs et cloisons. Si les parois de papier murmurent, tremblent et se déchirent dans la tempête, c’est pour mieux renforcer la valeur de refuge de sa maison toujours ouverte.
Texte de mon amie Katia inspiré de la lecture de Gaston Bachelard La Poétique de l’espace et titre arraché au poème d’Oscar Milosz Insomnie
Arthur Rimbaud, « Nacre voit », Album Zutique
Photo-collage © Marianne Evennou pour J’attends…